les intellectuels et la politique en France (1870-???)

08-02-2007 à 20:39:33
Leymarie est docteur en histoire et maître de conférence à l’Université Paris-Charles-de-Gaulle-Lille 3 et enseigne à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il a écrit dans la collection Livre de Poche en 1999 De la Belle Époque à la Grande Guerre.
Qu’est-ce qu’un intellectuel? Le mot est ambiguë et souvent porté à confusion; « intellectuel: encore un de ces mots à double, à multiple entente; à mésentente » (Étiemble, Les Temps modernes, 1946). Ici le terme d’intellectuel sera employé non dans le sens d’un quelconque profession intellectuelle mais dans le sens de celui qui s’engage dans la vie de la cité, dans l’actualité, en politique. Sartre: « l’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas et qui prétend contester l’ensemble des vérités reçues et des conduites qui s’en inspirent au nom d’une conception globale de l’homme et de la société. » il applique au terrain public une notoriété acquise ailleurs (artistique, financier, scientifique, religieux). Il peut être le « chien de garde » de l’ordre politique social ou moral.


DE L’AFFAIRE A LA GUERRE

L’affaire Dreyfus

« J’accuse » de Zola; la naissance des intellectuels. On a beaucoup parlé de l’engagement de Zola dans l’Affaire Dreyfus, mais son importance est bien plus grande: c’est le point de départ, le mythe fondateur de l’intellectuel en France. Il y a eu des prémisses comme Desclave pour son roman Sous-offs ou la pétition de 1894 (signée par Zola et Barrès contre la condamnation de l’anarchiste J.Grave. De nombreuses pétitions et actions ont été lancées pour soutenir Dreyfus et pas seulement le « j’accuse » du 13 janvier 1898. Des scientifiques comme Duclaux (biologiste) ou Poincaré (mathématicien), des enseignants comme Lucien Herr et surtout des Universitaires s’engagent au côté de gens de plumes (Proust, Péguy, France…) et se regroupent en association (création de la Ligue des Droits de l’Homme le 4 juin 1898). Des réticences existent aussi; la « Lettre à Émile Zola » de Péguy s’attaque aux socialistes réticents. Les anti-dreyfusards se caractérisent aussi par un rejet total de l’intellectuel: la Ligue des Patriotes de Déroulède, Barrès parlant de l’intellectuel: « déchet fatal » tentant d’être « une élite ». La mort de Zola en 1902 marque la fin de cette aventure humaine: la justice a repris son cours les intellectuels sont retournés à leurs travaux.
Deux conceptions de la société. plus qu’une lutte entre anti-sémites et intellectuels, deux vision de la société étaient en jeu: d’une côté, les dreyfusards avec un souci de vérité, de valeurs républicaines, de justice, d’égalité et de l’autre, la raison d’État, l’anti-germanisme, les valeurs traditionnelles, l’ordre, la « préservation sociale ».
Conséquences de l’Affaire. Il en résulte un large écho dans le monde et l’avènement d’une nouvelle catégorie sociale et d’un nouveau pouvoir. Les intellectuels trouvent leur mythe fondateur et se posent comme autorité morale. Mais l’engagement a un coût: Grimaux est renvoyé de l’École Polytechnique pour avoir soutenu Zola dans son procès, la République des Lettres se scindent: Herr et les jeunes dreyfusards contre Barrès: antisémitisme intolérable à gauche et le nationalisme se fixe à droite.

APRES L’AFFAIRE

A gauche. rupture entre socialistes et intellectuels: les Universités Populaires déclinent tandis que les syndicats expriment une tendance anti-intellectualiste, rejettent les intellectuels quand ils ne souhaitent pas leur suppression (un « parasite»).
Barrès et l’anti-intellectualisme de droite. les reproches à l’intellectuel: pédant, élitiste et incompétent dans ses décisions, prônant un universalisme considéré comme décadent à opposé au nationalisme donné comme un déterminisme. Drumont: « oligarchie immorale, élitiste et surdiplômée ».
Maurras et l’Action Française. anti-dreyfusard pour un « nationalisme intégral », Maurras s’impose en 1899: anti-républicain, anti-démocratique, anti-libéral, anti-sémite; il faut selon lui restaurer le Roi et l’Église. Le mouvement dispose d’une revue du même nom témoignant de sa puissance de même que son influence dans l’affaire Thalamas (a été empêché d’enseigner rue d’Ulm à cause de ses convictions politiques.
Péguy. il présente la figure d’un intellectuel indépendant, refusant gouvernement de politiques intellectualisés; se dit resté dreyfusiste et socialiste moral, patriote et républicain. Possède une grande influence avec sa revue, Les Cahiers de la Quinzaine.
L’effervescence intellectuelle de la Belle Époque. grand débat sur la laïcité (notamment entre une droite catholique avec des tendances anti-sémites et Combes l’anticlérical; France dénonce le Concordat à la Chambre. En même temps, un renouveau spirituel: conversion au catholicisme de Max Jacob, de Péguy. Second débat d’importance: la question coloniale, interrogation morale des intellectuels (France, Sur la pierre blanche). De nombreux mouvements intellectuels naissent; la revue de Péguy, la Nouvelle Revue Française (Gide, Giraudoux, Claudel, Saint-John Perse, Valery ), les « Décades de Pontigny » qui rassemblent l’élite intellectuelle européenne…
La guerre qui vient. les tensions internationales inclinent au renouveau patriotique: inéluctabilité é du conflit (Péguy) voire voulu (Barrès, Roy). Les pacifistes inécoutés souhaitent un arbitrage international. Jaurès tente une entente sociale franco-allemande mais les espoirs sont ruinés par son assassinant le 31 juillet 1914. Selon Cartault (dans l‘Intellectuel ), le mot « intellectuel » est à la mode mais la plupart l’emploie mal et leur reste mystérieux.

LES INTELLECTUELS DANS LA GRANDE GUERRE

L’Union Sacrée se réalise vite tant chez les politiques que chez les intellectuels: lutte de la Civilisation contre la Barbarie. Les intellectuels s’instituent au service de la République française: le philosophe Alain s’engage, Péguy meurt au front en 1914. Beaucoup en reviennent écœurés (Barbusse, Le Feu; Dorgelès, Les Croix de feu). D’autres font de la propagande: la littérature de guerre (Durkheim, Lettre à tous les Français). Les Chrétiens s’engagent massivement tandis que Giraudoux, Claudel et Bazin s’expatrient. Barrès rédige un article par jour à L’Écho de Paris; surnommé le « rossignol du carnage ».
Le principal effet de la Grande Guerre sera de réduire l’autonomie des intellectuels et deviendra un point de référence.

LES ANNEES 20, LENDEMAINS DE GUERRE

Pacifisme. Le contrecoup de la guerre avec ses horreurs et la tendance pacifiste présente avant guerre imprègnent toutes les générations (les jeunes de l’ENS): aucune guerre n’est justifiée , influence de Alain et les doutes sur la responsabilité de l’Allemagne en surplus.
A gauche: « cette grande lueur à l’Est ». un grand attrait pour le communisme se forme (Furet, Barbusse, Romains, France…) avec le mouvement Clarté. Idée du « devoir social » des intellectuels. Le PC prend la direction de l’Humanité en 1926: une autre voie à gauche.
A droite: « le parti de l’intelligence ». rédaction du manifeste de ce nom par Massis (Action Française) et signée par Bourget, Daudet, Maurras, Valois…). La pensée nationaliste est glorifiée par la guerre, un renouveau spirituel et l’angoisse vis-à-vis de l’Est: « l’Orient contre l’héritage latin ». En 1925, l’affaire Scelle démontre la suprématie de l’Action Française au Quartier Latin: ce professeur, malgré la résistance des étudiants communistes n’a pu faire cours à cause de ses affinités avec le Cartel des Gauches à la Faculté de Paris. Toutefois, nationalistes et internationalistes ont une même idée de la « responsabilité sociale » de l’intellectuel: un militant au service de valeurs politiques.
La guerre du Rif et l’anticolonialisme. (Maroc 1925) une campagne anti-militariste est initiée par le PC: « Appel aux travailleurs intellectuels » (l’Humanité); les surréalistes s’engagent (Artaud, Aragon, Breton, Eluard, le groupe « Philosophies »); Duhamel, Rolland, Rostand aussi. Et pour la première fois la droite réplique en s’attribuant le nom d’intellectuels: « les intellectuels aux côté de la patrie » (Bazin, Bourget, Halévy, Valéry). Deux faits se juxtaposent: d’une part, une attirance pour le PC, Nizan et les surréalistes malgré un contre mouvement minoritaire (Souvarine) et d’autre part une dénonciation du colonialisme, Malraux Les Conquérants et Gide Voyage au Congo.
Les intellectuels catholiques; la condamnation de l’Action Française. Les années 20 voient la naissance de l’intellectuel catholique (Massis, Hepp, Cocteau) dont la figure centrale est Maritain (un thomiste). L’Action Française est condamnée par le pape en 1926: le choix des catholiques est entre Maurras ou l’Église.
Engagements européens. de nombreuses associations intellectuelles se nouent: l’ « Europe des esprits », le Congrès de la paix en 1921, le PEN Club, les Décades de Pontigny; des amitiés aussi comme celle de Gide avec l’allemand Curties. Mais la montée du nazisme inquiète: « un énorme, un affreux silence est tombé sur le génie européen » (Duhamel, 1933). Les années 30 seront source de mobilisation et de divisions idéologiques en politique.

LES ANNEES 30, ANNEES TOURNANTES

Elles voient un renouveau des tensions, « crise totale de la civilisation », et apparaître le thème récurrent de la décadence (Nizan, Les Chiens de garde). les revues politique-littéraires se développent; la Nouvelle Revue Française (Gide). En littérature, une mode de fresque sociale est à la mode (Aragon, Le Monde réel). les jeunes cherchent une alternative entre capitalisme et communisme et fascisme; au-delà du marxisme et du nationalisme.
A la recherche d’une troisième voie. le bouillonnement littéraire est général: Au delà du marxisme (1927), Nouvel Âge Littéraire (1930), Décadence de la nation française (1931)…etc. « contre le désordre capitaliste et l’oppression capitaliste »; pour une « révolution personnelle et communautaire » (Halévy, Aron, Maritain, Dolléant, Touchard). Après le 6 février 1934, se produit une dispersion des intellectuels: d’un côté une jeune droite catholique (Blanchot) de l’autre un appel à l’insurrection (Maxence).
Fascisme et antifascisme. les engagements se radicalisent, pour les écrivains la modération n’est plus possible. La droite et le centre est anticommuniste. Le mouvement pacifiste reste relativement fort mais inconscient de la menace hitlérienne. L’URSS est un pôle d’attractivité pour les écrivains (Malraux, Rolland, Gide). Des associations antifascistes se forment; l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR) en 1932; Association pour la libération des prisonniers russes (libération en 1936 de Victor Serge): la « Bibliothèque de la Liberté » qui publie les textes interdits en Allemagne…etc. le Congrès d’Amsterdam de 1932 dénonce la SDN car li à la IIIème Internationale); le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (CVIA) précurseur du Front Populaire et dont le vice-président est Alain): au «service des organisations ouvrières » mais indépendant (après la victoire du Front Populaire, les pacifistes s’imposent). 2 mai 1935, pacte franco-soviétique.
Les Intellectuels et le Front Populaire. « appel des intellectuels » le 10 février 1934: la crise rapproche la gauche. ‘Vendredi’ est l’organe du Rassemblement Populaire (pro Blum) mais l’attitude avec l’Allemagne, le procès de Moscou et la guerre d’Espagne désintègrent le mouvement: « on ne défend pas ce qui n’existe plus » (Guéhenno). Le groupe Octobre se disperse.
Maurras et ses disciples. L’Action Française est à son apogée, critique et Hitler et Staline: thèses pacifistes tandis que Maurras appelle au meurtre de Blum. Des maurrassiens sont à l’Académie (Farrère élu en 1935, Maurras en 1938). L’extrême violence de la droite pousse au suicide le ministre socialiste Salengro. Les disciples de Maurras se tournent vers le fascisme. Céline préférerait « 12 Hitler plutôt qu’un Blum omnipotent » . L’envie d’action les poussent à se tourner vers Mussolini, Hitler, le belge Degrelle.
Une bipolarisation accrue. l’extrémisme se développe car tensions internationales conjuguées à un effacement du dreyfusisme. Tensions internationales: l’Italie envahit l’Éthiopie; l’extrême droite se déchaîne: manifeste fasciste et inégalitaire par Massis (signé par 64 académiciens) [contre-manifeste par Jules Romains], « le moment est venu de dégainer son âme » dit Claudel en soutien à Franco. Maritain pose les bases d’une nouvelle chrétienté. Des réactions suivent à gauche: Basch préside le Comité d’Aide à l’Espagne Républicaine, Guilloux commande le Secours Rouge International, un fort engagement dans les Brigades Internationales, Simone Weil suit les anarchistes, Malraux rentre dans l’escadrille España. Mais à partir de 1937 entre anti-hitlériens fermes et pacifistes sur la question de la Tchécoslovaquie. Le 20 mars 1938 Ce Soir appelle à l’Union nationale (signatures par les écrivains de gauche).
Gide et son « retour de l’URSS ». son admiration pour l’URSS s’efface devant la découverte du culte de la personnalité, d’un « esprit vassalisé », des manipulations par Moscou. Les Procès de Moscou de 1936 ébranlent les convictions et créent des dissensions: la Ligue des Droits de l’Homme met en cause les méthodes d’aveux, une querelle éclate entre Guéhenno, partisan de la fidélité et Gide, partisan de la liberté.

DE MUNICH A LA LIBERATION

Munich, la « drôle de guerre » et l’occupation. les démocraties démissionnent devant Hitler aux Accords de Munich, le CVIA les soutient de même que l’AF: la paix avant tout. Pour le Collège de sociologie (Bataille, Caillois) c’est un « Te Deum des lâches ». Le 21/08/39 est signé le pacte germano-soviétique: pour beaucoup (Malraux, Nizan, Rolland) c’est un choc. Le 3 septembre, la France et l’Angleterre déclarent la guerre; les intellectuels se proclament pour la paix. En 1940, c’est la débâcle, Nizan meurt. Les intellectuels sont dispersés. Avec Pétain, les thèmes traditionnels triomphent, triptyque du « travail-famille-patrie ». Les intellectuels républicains y adhèrent. La droite critique l’intellectuel (« mauvais pitre ») et Pétain est glorifié (Maurras aussi) et les juifs persécutés. Pour Maurras, Vichy est la « Divine surprise ». La collaboration et la censure s’exercent. Des listes noires sont publiées pour interdire certains ouvrages (liste Bernhard, liste Otto) Les conditions de travail sont difficiles (pour les intellectuels aussi: censure, rationnement du papier). Les syndicats d’éditeurs signent une convention de censure avec la Propaganda Staffel. L’Allemagne joue la séduction avec la France par la culture. Vichy promeut l’idée soufflée par l’Allemagne d’une Union européenne contre l’Angleterre.
L’antisémitisme de plume triomphe (Céline, Brasillach, Cousteau). Drieu prend la direction de la Nouvelle Revue Française et se déclare pour le communisme en 1943. La période est propice aux arts notamment pour le théâtre: Le Soulier de satin de Claudel, Antigone de Jean Anouilh. L’Académie Française est traditionnellement avec le gouvernement de Vichy mais certains membres comme Valery qui fait l’éloge de Bergson à sa mort ou Duhamel qui fait couronner des résistants (Schlumberger, Paulhan, Blanzat) donnent une autre image que celle de Bonnard, de Broglie, Bordeaux…
La résistance des intellectuels. Ils sont peu nombreux, d’horizons divers et majoritairement issu de la plume. René Char dirige le maquis Durance-Sud, Jean-Pierre Vernant est le colonel Berthier en Haute-Garonne, D’Astier de la Vigerie fonde Libération-Sud et Action. Certains tombent les armes à la main: le philosophe Cavaillès est fusillé en 1944, Prévost tombe au Vercors en 44; Roger Stéphane s’empare de l’Hôtel de Ville de Paris au nom de la France libre, Malraux (colonel Berger) commande la Brigade Alsace-Lorraine.
Beaucoup sont déportés et ne reviendront pas: Jacob, Desnos, Valois, Halbwachs (à Buchenwald) meurent dans les camps; Victor et Hélène Basch sont tués par la milice en 44; Bloch est torturé et fusillé par la Gestapo à Lyon le 16 juin 44.
D’autres reviendront des camps traumatisés: Prenant (un chef du FTP), Jorge Semprun, Bourdet un fondateur du CNR.
Une résistance de plume aussi: R. Aron écrit dans La France libre , Schumann fait des émissions à la BBC; composition du Chant des Partisans par Druon, Kessel, Anne Marly); l’École des Hautes Études de New York regroupe une centaine d’enseignants parmi lesquels Lévi-Strauss, Maritain, et Perrin. Un mouvement de résistance chrétienne voit le jour dès 41: le mouvement Jeune France par P. Schaeffer: le nazisme est contraire au christianisme.
Une communauté littéraire se met en place; La Pensée libre par Politzer en 40 (meurt en 42),création du Comité national des écrivains en 41 (Bridel, Guéhenno, Blanzat puis Sartre, Eluard, Queneau). En 43, dans la zone sud, Aragon réunit Prévost, Camus, Sadoul, Roy, Viollis. Union des deux comités à la Libération.
Les Éditions de Minuit résistent à leur manière avec Aragon, Mauriac, Guéhenno. Les œuvres s’engagent: L’Honneur des poètes (Eluard, Desnos, Guillevic, Ponge); Camus, L’Étranger; Sartre qui se définit comme « un écrivain qui résistait non comme un résistant qui écrivait » publie Les Mouches, Huis clos , L’Être et le Néant.
L’épuration des intellectuels. Les ouvrages des « collabos » sont interdits. La question de la mise en cause des intellectuels se posent. Le Comité National des Lettres (CNE) rayonne comme « tribunal des lettres » et crée une « liste noire » des « auteurs indésirables ». Face à cette épuration des lettres, certains réagissent: Paulhan plaide le « droit à l’erreur » puis démissionne du CNE en 46 avec Schlumberger et Duhamel. Céline, Bonnard… suivent Pétain et Laval à Sigmaringen. Brasillach se livre et est condamné à mort; Drieu se suicide en 45. Sont exécutés: Suarez, Chack, Luchaire, Céline est condamné puis amnistié. Giono est emprisonné; Maurras inculpé, subissant la perpétuité et la dégradation nationale s’écrie « C’est la revanche de Dreyfus ».
Puis le mouvement se tarit sur la nécessité de ne tomber dans l’arbitraire: « la Ivème République ne chausse pas les bottes de la Gestapo ».
Étiemble a dit: « que la justice n’a jamais su frapper juste, encore parfois elle ait pu frapper fort ». L’épuration des intellectuels est manquée.
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08-02-2007 à 20:38:40
Chapitre III Les Trente Glorieuses des intellectuels.


Durant la période d’après-guerre on peut observer différents points mettant en relation les intellectuels et la politique, comme tout d’abord l’hégémonie du marxisme et la grande importance du « camp socialiste », alors que la droite est délégitimée. On observe une période de glaciation où le monde des intellectuels est refermé sur lui-même. A cette période et jusqu’en 1956, l’anti-stalinisme est peut entendu et a peu d’importance dans le monde intellectuel, mis à part quelques exceptions. C’est là que commence les « trente glorieuses des intellectuels » (Jean-François Sirinelli).

Après la seconde guerre mondiale :

Au lendemain de la seconde guerre mondiale et de la découverte des camps nazis, le génocide juif ne tient qu’une place marginale au sein des débats intellectuels et ce jusqu’en 1970, malgré la présence de quelques ouvrages dénonçant le système et l’univers concentrationnaire, comme : L’Univers concentrationnaire de David Rousset (1946), ou encore L’espèce humaine de Robert Antelme.
Certains intellectuels réagissent tout de même à cet événement qu’est la découverte de l’horreur des camps comme Georges Bataille : « Auschwitz est le fait, le signe de l’homme. L’image de l’homme est inséparable, désormais, d’une chambre à gaz »
L’engagement des intellectuels dans la politique est un point essentiel de cette période avec notamment la forte présence de Sartre, dont on dit qu’il a « le même prestige que Barrès vers 1890 et que Gide vers 1905 ».
Camus ressent l’impératif de l’engagement à travers son journal Combat, pour lui refuser l’engagement « c’est refuser la condition humaine » (Le personnalisme) (1950)
L’engagement politique et idéologique de Simone de Beauvoir, ainsi que sa relation forte avec le féminisme en font une des figures emblématiques de l’après-guerre, notamment avec son ouvrage Deuxième Sexe (1949).
Les relations qu’entretinrent les trois grands intellectuels de gauche de l’après-guerre que sont Camus, Sartre et Aron eurent une importance capitale sur leur évolution propre en tant qu’intellectuels engagés. C’est à partir de 1948 qu’une guerre oppose Sartre à Aron, qui seraient, selon Aron lui-même : « les deux pôles entre lesquels se tend jusqu’au déchirement le débat intellectuel du siècle ».
L’équipe formant le journal communiste Combat éclate avec la prise de distance de Camus vis-à-vis du communisme, par la suite il écrira plusieurs œuvres et notamment L’Homme révolté, paru en 1951 et que Sartre considéra comme une mise en cause personnelle, il se brouille alors publiquement avec Camus le 2 août 1952. Malgré cela, Sartre dira à sa mort que Camus symbolisait « l’existence du fait moral ».
Dans ce climat d’après guerre et de guerre froide, le Parti Communiste Français joue un rôle prépondérant auprès des intellectuels notamment avec Aragon. De nombreux journaux proposant des thèses soviétiques comme celles de Jdanov ou Lyssenko apparaissent comme La pensée, Les Lettre françaises…
Avec le communisme apparaît l’anti-libéralisme, l’anti-américanisme, comme le souligne Sartre : « Attention, l’Amérique a la rage. Tranchons tous les liens qui nous rattache à elle, sinon nous serons à notre tour mordus et enragés » (Libération, 22juin 1953).
Avec cette forte présence de la gauche, voire de l’extrême gauche au sein du monde intellectuel, même le mouvement catholique se trouve divisés entre anticommunistes et ceux qui seraient favorable à un rapprochement avec la gauche comme les rédacteurs du journal Esprit, qui adoptent un philosoviétisme jusqu’à la chute du régime stalinien. Mauriac écrira à propos de ceux-ci : « Toute l’aile marchante de l’Eglise est atteinte affreusement » (Le Figaro, 16 février 1953)
En contradiction avec tous ces mouvements intellectuels se rapprochant de la politique, certains refusent l’engagement politique, ils se veulent dégagés d’un quelconque dogmatisme et veulent se dégager de la notion d’engagement, ils comptent dans leurs rangs Etiemble, Benjamin Péret, Nimier et les « hussards » qui « refusent de s’enrôler sous la bannière du progressisme ou des œuvres à thèses ».
Au niveau européen, les intellectuels adoptent plusieurs positions relativement à la bipolarisation du monde : certains préfèrent le neutralisme (comme le journal L’Observateur) ou les socialistes (Les Temps modernes)
Quelques uns préfèrent rejoindre les Citoyens du Monde aux côtés de Gary Davis, comme Camus.
Des dispositifs se mettent en route pour lutter contre le communisme grâce à un réseau international mis en place avec l’argent américain avec tout d’abord le journal Preuves qui est l’organe central de l’anticommunisme intellectuel, que suit Aron, qui dira que le marxisme est « une religion, au sens le plus impur de ce mot ». On observe donc une attaque dure du communisme dans le but de voir arriver « la fin de l’âge idéologique ».
De plus l’anti-intellectualisme prend de l’importance avec l’émergence du mouvement poujadiste, basé sur le refus des thèses des grands intellectuels de l’époque, pourtant, d’après Roland Barthes : « Dans la société poujadiste, l’intellectuel a la part maudite et nécessaire d’un sorcier dégradé ».


Anticolonialisme et Tiers-mondisme :

Jusqu’en 1955, la majorité des intellectuels demeurent dans l’ignorance du problème algérien, c’est après cette date qu’ils réagissent, au moyen d’une « bataille de l’écrit », mais aussi de nombreux comités aidant les pays colonisés ; ils sont écartés de la télévision et de la radio mais gardent une place privilégiée au sein de quelques journaux. C’est alors que le « Manifeste des 121 » est rédigé, en septembre-octobre 1960 où est désiré un droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, mais ce manifeste est censuré. En opposition à celui-ci est rédigé de la part des partisans de l’Algérie Française le « Manifeste des intellectuels français » du 7 au 13 octobre 1960. On peut voir donc avec la guerre qu’il y a un certain retour de la fonction critique de l’intellectuel, ce qui ne va pas sans heurts avec la tutelle des partis politiques.
A Cuba, avec l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro, les intellectuels voient une nouvelle Terre promise pour la gauche non-communiste, ce qui va provoquer un réel engouement pour ce pays : Sartre et Simone de Beauvoir y feront un voyage pour constater le fonctionnement de cet état socialiste. Même si cet attrait pour le pouvoir cubain fut de courte durée, celui pour la figure du « Che » restera, comme un mythe, à la fois pour les intellectuels de gauche et ceux de droite.
En Asie la situation est aussi difficile, les intellectuels condamnent les bombardement américains, mais dans les années 1970, suite à la découverte des actes des Khmers rouges au Cambodge, ils vont plutôt porter un regard critique sur les différentes « dictatures de gauche ».
Le voyage en Chine, qui est une république populaire est à la mode et réactive « le jeu subtil […] d’un engagement à distance » (Claude Lefort), pourtant certains intellectuels s’y opposent, comme Simon Leys, qui critique « les commis voyageurs du maoïsme » et stigmatise leur naïveté.

De 1956 à 1968 :

On constate dès 1956 une dissociation notable entre le Parti Communiste Français et les intellectuels de gauche suite, surtout, à l’écrasement de Budapest par l’armée soviétique, de nombreuses critiques du régime sont faites, concernant l’ingérence soviétique, on parle de l’ « éclatement » du stalinisme.
En 1958, on peut voir une gauche intellectuelle qui refuse en bloc le projet constitutionnel, à part quelques exceptions comme Clavel ou Hervé.
Neuf ans plus tard, en 1967, la guerre des 6 jours entre Israël et ses voisins arabes amène à un soulèvement des intellectuels engagés, avec le 30 mais un « Appel d’intellectuels français en faveur de la paix », avec de Beauvoir, Sartre, Schwartz, pour ainsi défendre la souveraineté d’Israël. Pour Aron, cette période annonce « une nouvelle période de l’histoire juive et peut-être d’antisémitisme » (De Gaulle, Israël et les Juifs)
Les années 1960 marquent le règne des sciences humaines, avec la domination de la linguistique, de la sociologie et de l’ethnologie. Ceci va amener au triomphe du structuralisme avec comme emblème Claude Lévi-Strauss et son œuvre Anthropologie structurale (1958). Parallèlement Sartre fait une tentative de réactivation de l’engouement marxiste avec Critique de la raison dialectique (1960)
Les évènements de Mai 1968 marquent une manifestation de rue plutôt qu’écrite, où les intellectuels ont peu de prises, malgré que certains d’entre eux par exemple affirment leur solidarité « avec le mouvement des étudiants dans le monde », comme Sartre, Lacan ou Lefebvre.
Par ailleurs pour Sartre : « le temps des signatures des manifestes, des tranquilles meetings de protestation ou des articles publiés par des journaux « réformistes » est terminé » (Situations X)
Pour Vidal-Jacquet : « Quelque chose s’est brisé ente le PC, les étudiants et les intellectuels ».

D’un mai à l’autre :

On remarque dans les années 1970 un renouveau de l’engagement tiers-mondiste et marxiste, pourtant en quelques années, la gauche bascule dans des « années orphelines ».
Foucault réinvente l’image de l’intellectuel avec l’ « intellectuel spécifique », pour lui : « le rôle de l’intellectuel, c’est plutôt de lutter contre les formes de pouvoir là où il en est à la fois l’objet et l’instrument » (1972), et, de plus l’intellectuel doit travailler dans des domaines déterminés. En 1971 il créée le GIP (Groupe d’information sur les prisons) et le GISTI ( Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés).
On voit dans les années 1970 un renouveau de l’extrême droite avec notamment l’arrivée de Jean-Marie Le Pen et du Front National, cette « nouvelle droite » veut gagner les élites et conquérir l’hégémonie dans la société civile. Elle nie le génocide juif et avance des thèses racistes et a plusieurs organismes médiatiques pour l’aider tels que Défense de l’Occident, Nouvelle Ecole..
Par ailleurs, suite aux événement de Mai 1968, les analyses d’Aron, de Camus ou encore de Lefort commencent à être entendues. On voit le début d’une réflexion sur le totalitarisme soviétique avec L’Archipel du goulag (1974) de Soljenitsyne. On voit reparaître la thématique des Droits de l’homme, Hannah Arendt permet une familiarisation avec ce totalitarisme soviétique. Paul Thibaud, nouveau directeur d’Esprit, écrit : « L’imposture totalitaire a fini par éclater ».
L’engagement humanitaire dans la fin des années 1970 prend un rôle très important faisant apparaître des regroupements inédits qui vont amener à la réconciliation de Sartre et d’Aron lors d’une « recontre tout à la fois silencieuse et ostentatoire ».Les deux personnages vont s’éteindre peu de temps après.
On observe au milieu des années 1970 un « changement de paradigme » (Marcel Gauchet) qui va voir l’histoire prendre une place centrale dans le paysage culturel. Par ailleurs Régis Debray dénonce le fait que le pouvoir intellectuel se trouve plus dans les universités mais dans les médias.
On voit apparaître de nouvelles revues telles que Actes de la recherche en sciences sociales de Pierre Bourdieu ou Etudes de Paul Valadier ou encore Le Débat voulant prendre le contre pied des Temps Modernes avec notamment Pierre Nora qui constate le fait que « l’intellectuel contemporain fleurit sur une université en ruine » rejoignant le point de vue de Debray. Commence alors une « ère de basses eaux idéologiques ».

Chapitre IV La fin des intellectuels ?

On observe dans les années 1980 que la figure de « l’homme de lettres » a disparu, que l’activité intellectuelle s’est professionnalisée.

Le silence des intellectuels :

L’enquête de l’Express du 11 avril 1981 illustre bien la situation des relations entre intellectuels et politiques au début des années 1980 : « Les intellectuels et la politique : le grand désarroi » et lorsque François Mitterrand arrive au pouvoir, la gauche est en phase de reflux idéologique. Par la suite, le malaise perdurera entre le gouvernement et une gauche intellectuelle émiettée. Une rupture s’est opérée.

Débats :

Alors que le monde intellectuel est en crise, les revues alimentent le débat avec notamment Critique qui fête son cinquantenaire tout comme Les Temps modernes de Claude Lanzmann ou encore Le Débat. La controvers apparaît au sein même du microcosme intellectuel comme par exemple avec le procès intenté à des spécialistes de sciences humaines par Alain Sokal et Jean Bricmont.
L’intérêt pour l’éthique, le droit, l’esthétique est manifeste, tout comme le renouveau de la philosophie politique. En 1993 intellectuels de gauche et de droite défendent la spécificité de la culture française et européenne et militent pour la clause de l’exception culturelle dans les accords du GATT.
Les décennies 1980 et 1990 voient le renouveau de l’ultra-droite alors qu’on observe une période de remise en cause et d’intervention pour les intellectuels.
Ainsi les questions du racisme et de l’extrême droite sont largement discutées, avec en parallèle un essor du Front National. C’est à cette époque que la question du port du voile par les femmes de religion musulmane en classe qui est considérée comme incompatible avec la laïcité française.
René Dumont et Alain Touraine notent que « le sentiment d’exclusion est en train de grandir dans la communauté maghrébine » et mettent l’accent sur le risque d’un « Vichy de l’intégration des immigrés ».
La question des droits de l’homme fait aussi l’objet de débats récurrents et d’engagements concrets.
En 1987 La Défaite de la pensée d’Alain Finkielkraut analyse la dissolution de la culture dans le « tout culturel », puisque dissolution il y a, en effet la fin de l’intrication du littéraire et du politique ainsi que l’altération de la tradition littéraire sont manifestes.
Pierre Bourdieu occupe une position éminente parmi les intellectuels critiques en visant à décrypter les mécanismes de pouvoir dans les grandes écoles, à la télévision, aussi bien que La domination masculine (1998) ainsi qu’en défendant l’autonomie des intellectuels.
Le Monde nous montre l’importance de Bourdieu dans la pensée de son temps dans son édition du 8 mai 1998 :
« Pierre Bourdieu devient la référence intellectuelle du « mouvement social » ».

L’Europe et les guerres :
Différentes opinions s’opposent sur la position à adopter vis-à-vis de cette nouvelle Europe reconstituée et retrouvée suite à la chute du mur de Berlin, mais la méfiance à l’égard de la construction européenne reste présente et l’engagement européen des intellectuels est souvent faible.
C’est de manière sélective que les conflits internationaux font se mobiliser les intellectuels, la barbarie en Algérie n’est en effet dénoncée que plusieurs années après le début du massacre et la Tchétchénie paraît généralement lointaine alors que la guerre du Golfe amène a la mobilisation des intellectuels et à une résurgence du pacifisme.
Les limites de la puissance européenne sont dévoilées avec les conflits dans les Balkans. Les intellectuels sont divisés : alors que Bernard-Henri Lévy milite en faveur de la cause bosno-musulmane, Gabriel Matzneff ou Jean-Edern Hallier prennent position pour la Serbie.

Intellectuels et médias :

Malgré la nécessité pour les intellectuels d’être médiatisés pour communiquer leurs idées, les nouveaux moyens de communication diminuent la place et le pouvoir d’intervention de ceux-ci dans la vie publique.
L’intervention des intellectuels dans la presse n’est pas nouvelle et Lévy, Debray ou encore Gluskmann assument parfois cette fonction dans Le Monde non sans susciter à l’occasion des controverses.
Lire et L’Evènement du jeudi établissent le palmarès des intellectuels qui incarnent le « pouvoir intellectuel » avec des élus tels que Lévi-Strauss ou Aron en 1981 et Pivot en 1989. Ils sont dénoncés par Bourdieu qui affirme que le jury est composé de « personnages mixtes ou bâtards » qui présentent leur propre vision du monde intellectuel.
Bourdieu critique également l’ »emprise du journalisme » et veut dévoiler la soumission à la tyrannie de l’audience. La plupart des intellectuels adoptent un discours critique sur la télévision, alors que pour De Gaulle la télévision devait être « un instrument magnifique de soutien à l’esprit public ».
Les médias, souvent « se servent mieux des intellectuels que les intellectuels ne se servent des médias » (Michel Winock). Pour Jean Claude Guillebaud « L’Etat et le politique, installés sous les projecteurs, se voient contraints de sacrifier à l’émotion plutôt qu’à la raison, à l’amnésie au lieu de la mémoire, à la séduction plus qu’à l’argumentation ».
Par ailleurs la télévision a joué un rôle important dans la promotion des « nouveaux philosophes ». Milan Kundera verra dans la nouvel intellectuel « un clown de mass média , un cabotin, un m’as-tu vu, un danseur » qui occupe « la scène pour faire rayonner son propre moi ». (La Lenteur, 1995).

Intellectuels et experts :

En France, la position traditionnelle des intellectuels est sapée par la montée en puissance des experts, des « technocrates ». Ces experts revêtent des figures diverses et se trouvent dans de nombreux domaines, ainsi Paul Vignaux anime la reconstruction au sein de la CFTC et Pierre Rosanvallon créée CFDT-Aujourd’hui.
Les experts sont très demandés, pour examiner différents cas tels que par exemple le rôle de l’Eglise catholique dans l’affaire du milicien Trouvier, mais aussi en tant que témoins, pour rendre compte d’ « un passé qui ne passe pas » (Eric Conan et Henri Rousso).

De nouveaux intellectuels :

Les ressources de la pétition, souvent utilisées par les intellectuels pour des sujets politiques, semblaient s’épuiser, pourtant les manifestations qui se sont déroulées récemment montrent un renouveau de celle-ci. La fonction critique des intellectuels se généralise et se banalise. Le paysage intellectuel se transforme.
En 1995, la réaction face à l’annonce d’un plan de réforme de la Sécurité sociale marque le retour de l’intervention collective, avec deux camps qui s’opposent sur la question.
Une pétition entraînent une manifestation pour réclamer le retrait d’un projet de loi durcissant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers. Les cinéastes prennent une place importante dans ces mouvements et ce sont eux qui, dans Le Monde demandent une régularisation massive des sans-papiers. Une pétition relaie et amplifie le manifeste des cinéastes concernant la loi Debré. Jacques Julliard y voit « la naissance d’un mouvement sociologique des nouvelles couches intellectuelles ».

Epilogue provisoire.
La situation des intellectuels a changé depuis les années 1950, à cette époque, les maîtres à penser étaient Sartre ou encore Gide, aujourd’hui les intellectuels sont relégués loin derrière les hommes politiques ou encore les chefs d’entreprise. Les intellectuels sont « en question » comme le montre Maurice Blanchot dans Le Débat de mai 2000. Ionesco écrivait à propos des intellectuels : « Eux qui se croyaient démystificateurs se complaisent dans l’automystification ».
Le pouvoir de l’intellectuel est alors tout à fait relatif. On assiste à une mutation de l’intellectuel qui procède tout d’abord de la démocratisation de la société et de l’extension de la fonction qui était celle des « clercs » comme les nommait Julien Benda. Il demeure en revanche des figures comme Hannah Arendt, Claude Lefort ou Charles Péguy qui donnent aujourd’hui à penser.
Le rôle de l’intellectuel aujourd’hui pourrait être d’essayer de penser le monde, de contribuer à ménager l’espace du débat démocratique, de garder une fonction de vigilance morale et politique et un rôle civique qui n’est pas leur seul apanage, et enfin de prémunir contre la quiétude.


08-02-2007 à 20:39:33
III- APPRECIATION CRITIQUE

Michel Leymarie a traité de l’intellectuel depuis son apparition à l’Affaire Dreyfus jusqu’à nos jours selon une approche thématique qui se révèle une mine d’information précieuse mais qui, en même temps, est à double tranchant.
En effet cette approche ressemble sur bien des points à une liste exhaustive d’évènements, d’individus, d’arguments et d’exemples et cette densité de texte joue contre elle au niveau de la lecture, de la compréhension et de la mise en relation des évènements. Cette masse marque mal, parfois, les différences d’intensité des actions et leurs répercussions au niveau de la société.
I l a été mis en évidence que l’auteur a privilégié l’action et l’influence des intellectuels du monde littéraire, philosophique et de certains politiques; mais qu’il a très peu parlé voire négligé l’influence des sciences exactes et des scientifiques en général mis à part quelques allusions (Poincaré) dans l’Affaire Dreyfus pour la réfutation des preuves contre celui-ci.


Toutefois, cet ouvrage permet de réaliser toute la prégnance que les intellectuels ont eu sur le domaine politique en France bien qu’aujourd’hui leur influence ait grandement diminuée. Pourtant l’échange est double: le poids des opinions politiques au sein des différentes œuvres littéraires modernes et contemporaines et la portée politique des Grands Noms de la littérature française reste importante depuis l’Affaire Dreyfus.
Le grand nombre de références permet au niveau des journaux et des différents mouvements culturels et politiques de bien situer la position des intellectuels dans la société. De même, le nombre d’intellectuels nommés et le nombre de citations de ceux-ci (dénotant entre autres, la profonde recherche historique et culturelle de l’auteur) est une véritable découverte culturelle, politique et idéologique pour le lecteur, éclairant souvent des faits mal connus du public.


Un fait particulièrement marquant dans ce livre était la manière dont les intellectuels faisaient parvenir leurs opinions à travers plusieurs moyens médiatiques complémentaires: leurs ouvrages, les différents journaux, les émissions de radio. Ainsi, les intellectuels prennent toute la mesure de leur engagement en diffusant des idéaux ou des opinions qui peuvent aller du stalinisme au christianisme puritain, du pacifisme au fascisme. On peut donc dire que l’intellectuel engagé prend toute sa mesure en tant que gardien de l’ordre social et moral par la conservation et la revendication de sa liberté, sa liberté d’expression et d’opinion.

On constate aujourd’hui un certain renouveau de l’intellectuel dans la revendication de luttes sociales comme les Enfants de Don Quichotte, soutenus par Jean Rochefort, ou l’abbé Pierre; ou les ouvrages comme ceux intitulés La philosophie féroce, de Michel Onfray.

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